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Interview : Estelle Landry

En novembre 2021, j’ai discuté avec Estelle, qui donne régulièrement des conférences et participe à l’organisation de plusieurs évènements et a bien voulu partager son expérience. Voici les notes, dans un style très oral, que j’ai pris pendant cette discussion.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis passionnée par mon métier de Product Owner.
Avant, j’étais développeuse, j’ai fait une formation tech.

Mon kiff c’est de permettre de comprendre les besoins utilisateurs et de les transcrire et de les transmettre dans un produit qui les aide.
Mon rôle est très lié à l’UX (User eXpérience), à du GameStorming, à la stratégie produit, mais aussi à de l’organisation, à maintenir une vision produit chez les devs…

Je fais des conférences, on s’est croisé.
Je fais partie des Duchess France et je suis aussi orga de SunnyTech et du MeetUp UX Flupa Montpellier. Et j’aide au comité de sélection de Devoxx.

Tu as donné tout un paquet de conférences ces dernières années, je n’ai pas compté exactement, mais je sais que je t’ai vu plusieurs fois. Tu te souviens, la toute première, pourquoi tu as fait ça ?

J’avais un collègue de ma société (François Teychené) qui m’a dit « écoute Estelle, je cherche une co-speakeuse, est-ce que tu pourrais pas faire une conférence avec moi, sur ce sujet ? ».
Au moment où je suis arrivée dans la société, les DevOps étaient complètement à part du produit et étaient vus un petit peu comme les vilains petits cochons. Vu que j’avais des capacités de facilitatrice, on a fait des petits tests et ateliers sur nos équipes et ça a bien marché, donc on s’est dit « hey, on ferait pas une conférence ? ».

J’étais complètement novice au milieu des conférences, donc c’est lui qui m’a un peu projetée et qui m’a dit « t’en fais pas, ça va bien se passer ».
J’ai quand même eu quelques hésitations avant de dire « oui », je suis allée voir Aurélie Vache (NdA: que j’ai interviewée quelques jours plus tard) des Duchess, qui m’a soutenue dans la démarche, qui m’a relu mon abstract, mes slides, aidé sur les premiers moments.

Et maintenant, en général, comment trouves-tu tes idées de sujets ? Est-ce que tu prends ta vie de tous les jours au bureau et tu te dis « on a eu des problèmes, on les a résolus, partageons ça » ?

C’est beaucoup ça, mes premières confs ça a été ça.

J’aime beaucoup donner des REX, parce qu’ayant un petit syndrome de l’imposteur, j’aime beaucoup parler des choses que j’ai faites et de ce que je ressors de ces expériences, plutôt que de dire « voici la vérité », « voici telle techno », « voici telle chose ». Même si je change un peu.
Donc c’est beaucoup des REX, c’est beaucoup par rapport à ce que j’ai fait dans ma société.

Mais aussi, dernièrement, j’avais un sujet (le design de persuasion, qui est une méthodologie un peu particulière de l’UX qui essaye d’utiliser des patterns un peu psychologiques pour t’aider à prendre des décisions côté UX) qui me plaisait et je me suis dit que j’allais me challenger et proposer un talk dessus, parce que je n’en avais pas vu en France.
Donc, j’ai pris un peu le contrepied, je me suis dit que j’allais m’autoformer et faire un talk dessus pour partager.

J’ai aussi eu un sujet sur lequel on est venu me voir en me demandant « Estelle, comment tu fais chez Pix, c’est quoi vos bonnes pratiques d’organisation ? » et quand je me suis vue l’expliquer trois ou quatre fois, je me suis dit « OK, j’en fais un talk, il y a des gens qui sont intéressés par ça ».

Comment prépares-tu un talk ? Est-ce que tu as une méthode qui est toujours la même et que tu déroules ?

Ma toute première conf, j’ai fait ça et je ne savais pas que ça allait devenir une méthode, donc je vais parler de quelque chose que j’ai fait naturellement et que j’ai conservé.

Première étape, j’essaye d’identifier la problématique, savoir à qui je parle, quel est mon public, parce que ça va forcément influencer ma présentation et tout ce que je vais dire.
Et j’essaye de savoir comment je vais répondre, quels vont être les éléments de réponses que je vais apporter à cette problématique.
Très important de te lancer en ayant déjà ton idée initiale, ta question, ta problématique : c’est ça qui va t’aider sur la rédaction de ton truc.

Quand j’ai ça à peu près défini — ça peut changer, comme c’est itératif — je creuse, je bouquine, je lis plein d’articles, je fais ma veille, je fais un gros doc où je cale tous mes liens.
Ensuite, j’essaye de construire un peu mon fil d’Ariane, mon histoire, je commence à créer le plan.

Et une fois que j’ai ça, c’est à ce moment-là que je vais postuler et proposer mon sujet.
Et quand je suis prise ou quand je fonce, je fais mes diapos.

Donc, tu prépares ton sujet beaucoup, puisque tu fais toute ta phase de recherche et ton plan, avant de le proposer en CFP ?

Alors, c’est un peu particulier, je sais que des personnes proposent un sujet et se disent « on verra si je suis pris » et renchainent après (NdA : c’est plus mon approche, je ne construis pas une conf tant que je ne sais pas que je vais la donner).

Peut-être que maintenant, avec plus d’assurance, je fais comme toi et je pose l’abstract en me disant « oh je sais à peu près ce que je vais voir », j’ai fait comme ça sur mon dernier talk.
Mais je pense que, vu mon petit syndrome de l’imposteur, mon manque de confiance, je préfère pousser un peu pour savoir si j’ai assez de substrat avant de partager.

Et j’ai aussi une peur, qui ne s’est pas avérée, mais qui est toujours un peu présente, c’est quand je pose un abstract, j’aime bien qu’il soit réel et que je vais vraiment répondre à ça dans mon talk.
J’ai connu des personnes qui posaient un sujet, qui creusaient et se rendaient compte que, finalement, l’abstract ne correspondait plus au sujet.

Et le « Jour J » ? Est-ce que tu petit-déjeunes, est-ce que tu es en panique totale ? Est-ce que cela a évolué au fur et à mesure que tu as donné de plus en plus de talks ?

Je pense que chacun a sa manière de gérer son stress.
Moi, je ne dors essentiellement pas, ou très peu. Ou entrecoupé. Surtout la veille d’un talk que je n’ai jamais donné.
Et ça n’a pas changé.

Je ne petit-déjeune pas du tout — et déjeune peu si je passe l’après-midi.
J’ai un petit problème de ventre avec mon stress, mon stress est très lié à mon ventre, donc je préfère ne rien avaler ; juste de l’eau ou du Coca.

Ça arrive même maintenant, c’est une peur qui est toujours là.

C’est drôle, mais je préfère passer le matin : quand je me lève, je n’ai pas beaucoup de temps à stresser avant de passer.
Et après, je peux relâcher.

Ce qui m’aide un peu à gérer ce stress, c’est, les semaines avant, pas forcément la veille, d’avoir beaucoup répété.
Si je n’ai pas beaucoup répété, mon stress va être exponentiel et plus je répète, moins je serai stressée. C’est pour ça que quand je répète un talk et que je l’ai déjà donné et que j’ai déjà eu des bons feedbacks, souvent, je stresse moins.
Parce que ce qui me fait peur, c’est la réaction des gens et savoir si mon talk est assez bon et a du contenu qui va leur apporter.

Tu vas dans la salle pendant le talk avant le tien, dans le public ?

Oui. C’est ma petite technique à moi, ça me permet aussi de mieux aménager mon stress : j’aime bien aller prendre l’ambiance et le contexte de la salle avant que je passe.

Ça me permet, moi, de me sentir plus familière avec l’endroit, ça me permet aussi de voir la logistique globale de la pièce, comment sont présentés les écrans, où est-ce que je dois me placer, comment le son se propage dans la pièce, est-ce que je dois parler un peu plus fort, est-ce que je dois parler plus lentement.
Ça me permet aussi de voir combien j’ai de minutes, comment sont gérées les questions/réponses, si un orga a un panneau pour te dire « stop »…

J’apprécie aussi être entourée par mes collègues et amis avant, pendant et après la conférence. Ça permet de relâcher la pression plus facilement.

Tu as fait des conférences à distance… Comment ça se passe ?

J’en ai fait parce que ça me semblait utile pour les gens de continuer à avoir des moments d’échange et de rencontre.

Par contre, ça m’a vite lassé, parce que tu n’as pas ou très peu de feedback, tu n’as pas du tout la même proximité.
J’aime beaucoup rigoler avec le public, j’aime beaucoup échanger.
Si je fais des blagues et que je ne vois pas de résultat sur les visages, ça perd, y’a un côté plus froid.

Et j’ai trouvé que le « avant / après », en conférence à distance, est très compliqué.
La descente après que tu aies donné ton talk et que tu aies parlé devant cent personnes et que tu coupes la caméra et tu es seule face à ta chaise, sans moyen d’extérioriser ce que tu as vécu ni de discuter, c’est très compliqué.

Tu parlais des blagues. Imaginons un cas en présentiel. Ça t’es déjà arrivé de faire une blague et d’avoir zéro réaction ?

(rires) Ça m’est même arrivé de faire une blague de très mauvais gout sur les gens du nord — mon conjoint est du nord, je suis du sud donc on se tacle mutuellement. Et j’ai été trop à mon aise. Et ça a été très très mal perçu, j’ai même eu un feedback dessus.

Donc, les blagues, ça m’aide beaucoup à redescendre la pression, c’est un moyen de me dire qu’il y a des gens en face et qu’on rigole ensemble.
Par contre, oui, c’est toujours particulier et il faut savoir bien utiliser ça pour ne pas non plus toucher certaines sensibilités, ce qui est complexe.
Et c’est normal d’avoir un talk sans blague aussi, ce n’est pas une obligation.

Souvent, j’essaye d’en sortir une petite avant, au tout début du talk, ça me permet de redescendre la pression et de commencer tranquille.
Si personne ne réagit, je me permets de m’autoflageller et je dis « bon ben celle-là, je ne la ressortirai plus ». Et souvent, ça, ça fait rire : les gens voient le malaise.
Mais oui c’est pas facile.

Après, il ne faut pas trop non plus s’attacher aux réactions de la salle.
Tu te dis que tu converses face à des gens, mais il faut imaginer que ces gens ont fait toute la journée de conférences, ont vu des dizaines d’heures de conférences dans les deux-trois jours : ça se peut que, des fois, des salles ne réagissent pas.
Et c’est pas dû à soi et souvent quand tu parles, il ne faut pas non plus s’arrêter à ça, il vaut mieux être dans son confort et faire son talk et pas trop prendre en compte les retours. Même si il faut !

En tant que speakeur, j’essaye de voir si des gens sont captés par ce que je dis ou si je vois la moitié sur les téléphones ou en train de dormir.
Souvent, ça me permet d’avoir des réactions. Je l’ai développé petit à petit : quand je vois une salle qui commence à s’endormir, je pose des questions : « combien d’entre vous ont déjà utilisé tel pattern ? », « combien d’entre vous pensent que ça c’est une vraie problématique chez eux ? » et je demande aux gens de lever les mains.
Rien que ça, ça permet de refocus, d’avoir un moment où ils bougent et sortent un peu de leur petit cocon.

Après tes présentations, est-ce que des membres du public, ou peut-être de l’équipe d’organisation, t’ont déjà fait des retours, des commentaires, des suggestions d’amélioration ?

Oui.
Très souvent, les gens viennent me voir, dans la journée et pas forcément juste après le talk. Peut-être parce que je suis assez abordable. Ils viennent me faire leurs retours en direct.

Souvent, c’est « je n’aurais pas attaqué ce point comme ça, je l’aurais pris par tel angle », des fois c’est très agréable parce que ça te permet de te remettre en question.
Des fois, c’est simplement des feedbacks très positifs.

Et j’ai eu quelques fois des feedbacks assez négatifs.
Par écrit c’est plus simple, donc j’en ai plus eu par écrit, par des outils comme openfeedback ou autres.
À chaque fois que je prends ce genre de feedback, je me pose plein de questions : « pourquoi la personne a écrit ça ? », « quel a été son sentiment quand elle m’a écouté ? », « est-ce que je dois forcément l’écouter, ou pas ? », parce qu’un feedback parmi plein de personnes, est-ce révélateur ?

Et c’est très intéressant d’avoir des feedbacks, même négatifs.
S’ils se répètent, je les écoute et j’adapte.
Si, par contre, c’est un seul feedback, je me pose beaucoup de questions, je vais voir des collègues et je leur en parle pour savoir vraiment si il était bienveillant, intéressant pour moi, à prendre en compte ou pas.

Une fois un sujet réalisé, j’essaie de le refaire dans l’année plusieurs fois afin de rentabiliser mes heures de travail — mais surtout afin de l’améliorer et de prendre de plus en plus de plaisir.
Car à force de le refaire, on est moins stressé sur le contenu et sur notre discours.

Aussi, au DevopsRex on était accompagné par un coach pour améliorer notre discours.
Et quand je pose mon talk dans un CFP j’ai eu quelques fois des retours / des questions, sur le nom de la conf, de l’abstract etc.

Une petite succession de questions très courtes (tu peux élaborer si tu veux, bien sûr), j’essaye de collecter quelques points de données :

Combien de slides ?

En moyenne 1 par minute.

Sais-tu combien d’heures tu passes, en général, à préparer un talk (y compris le temps des répétitions) ?

Je pense entre 15 et 20 h (pour une conf de 50 min).

Combien de fois tu as tendance à répéter ? Toujours devant des gens ?

3, 4 répétitions en moyenne dont une fois devant un collègue ou mon conjoint.

Tu as fait l’exercice plusieurs fois. Est-ce que tu vas continuer à donner des conférences ?

Oui.

C’est toujours un challenge pour moi, j’ai toujours les mêmes appréhensions, mais j’apprends beaucoup et j’aime finalement ça, parce que ça me permet de m’ouvrir sur moi, d’apprendre.
Et ces conférences, j’adore, parce que je retrouve des gens que je connais, je retrouve des communautés que j’apprécie et que je ne vois pas en dehors ou si je ne suis pas présente à la conférence.
C’est un eu un cycle vertueux : tu en donnes une, tu rencontres des gens, et puis après tu as envie de revenir et de repartager.

Ça dépend aussi du temps personnel que l’on a à attribuer à ça.
Je n’ai pas d’enfant, je n’ai pas de maison, pour l’instant j’ai du temps et j’adore l’utiliser pour ça.
Mais si je décide de changer un peu ma vie, je pense que je donnerai beaucoup moins de conférences.

Cependant, j’ai toujours ce sentiment d’autoflagellation à chaque fois que je repostule un nouveau sujet.
Je me dis qu’il n’est pas assez bon, que je ne serais pas à la hauteur (syndrome de l’imposteur même après plusieurs années). Je doute tout le temps.
Et quelques jours avant la conférence je me dis toujours « Mais pourquoi tu fais ça ? ».

Et au niveau professionnel, est-ce que tu as le sentiment que ça t’a apporté quelque chose ? Des gens qui t’ont contacté pour te recruter ?

J’ai eu des propositions d’embauche, après des conférences.
Pas forcément de suite après, plutôt par LinkedIn on m’a dit « je t’ai vue, j’ai apprécié ta vision, j’ai un poste ouvert ».
Ça n’a jamais marché, je n’y suis pas allée directement.

Par contre, des gens que j’ai rencontrés en conférence m’ont fait rencontrer d’autres personnes qui, elles, m’ont proposé des jobs.
Par exemple, j’ai rencontré Shirley, qui est une recruteuse assez connue, en conférence et c’est avec elle que j’ai pu trouver mon poste chez Pix.

Ça donne une légitimité supplémentaire, je trouve, quand tu es speakeur et que tu parles d’un sujet.
Même si tu peux en parler très mal ou avoir un avis très particulier, le fait que tu as donné une conférence apporte une légitimité médiatique qui fait que « ah ben j’ai recruté le mec qui parlait de ce sujet ».
Je pense que les sociétés en raffolent. C’est peut-être pas toujours la bonne solution, faire une conférence c’est une heure, faire partie d’une société pour contribuer à plus long terme, c’est différent.

Je suis présente grâce à mes conférences sur LinkedIn et Twitter, ce qui me donne une plus grande couverture et aussi une plus grande légitimité vis-à-vis de ma mission.
Y compris sur la vision que l’on a de moi dans d’autres sociétés.

Tu as aussi été dans l’équipe d’organisation de plusieurs évènements dont SunnyTech et Devoxx, tu as vu l’autre côté de la barrière… Et tu as sans doute de bons conseils à partager à quelqu’un qui voudrait se lancer !

Oui, j’ai en plein !

Le public ne sait jamais quel effort ça représente d’organiser une conférence… Donc, avant de commencer, saurais-tu dire, dans les grandes lignes, quelle charge de travail l’organisation d’une « grosse conférence » représente, pour les orgas ?

C’est énorme.
Je ne saurais pas donner de temps de toute l’équipe SunnyTech par exemple, qui est une petite conférence de 500 personnes…
Et je n’ose même pas imaginer l’équipe d’orga Devoxx…

Il faut savoir qu’une conférence, c’est un lieu (à valider), un traiteur (à valider), la billetterie à gérer, les sponsors à trouver (donc toute une démarche sur toutes les sociétés qui pourraient être intéressées), c’est de la communication nonstop sur nos réseaux (ça représente énormément de temps de faire des newsletters et autres), c’est des goodies, du temps pour les Call For Papers, pour sélectionner les speakeurs, c’est de la logistique, de la captation…
Et encore, j’oublie certainement plein de choses.

Le CFP, ça représente énormément de temps pour le comité : 10-15 min par proposition.
Pour SunnyTech, on avait 700 propositions ; et pour Devoxx c’est 900 en moyenne.

Pour SunnyTech, on a des équipes spécifiques pour chaque élément et on se voit un jeudi sur deux, pendant au moins une heure et demie. Pendant dix mois, de septembre à juin. C’est énorme.
Et là, ce n’est que la partie réunions où on se voit pour synchroniser. Ça ne prend pas en compte tout le temps qu’on passe à côté.

Et être bénévole (organiser une conférence, c’est être bénévole), on ne gagne pas d’argent.
Et les heures prises à l’organisation de la conférence ne sont pas comprises dans les horaires de travail. Donc on bosse souvent le midi ou le soir.

J’ai été dans une boite qui m’a licenciée parce que je faisais partie de l’équipe d’organisateur de SunnyTech en tant que secrétaire et que je n’avais pas averti mon entreprise par écrit (même si c’était écrit dans tous mes réseaux : LinkedIn , Twitter, Facebook, site de sunny tech etc.)

Donc, ça prend du temps.
Ce n’est pas d’argent, pas forcément de reconnaissance.
Si les gens le font, c’est vraiment pour leur cœur.

C’est quelque chose qui me touche et que j’adore faire ; et j’adore retransmettre à la communauté qui m’a beaucoup apporté quand je suis passée du développement à product owner, c’est pour ça que je suis speakeuse et organisatrice.

Tu te retrouves face à quelqu’un qui n’a jamais donné de conférence et qui se tâte un petit peu, en mode « si j’osais ? »… Quels conseils lui donnerais-tu ?

« Oui, fonce ! » J’ai fait une vidéo avec Julien Topçu pour présenter un peu les bonnes pratiques à avoir, pour se lancer.

Mon conseil, si je résume, c’est « passe du temps à trouver la bonne idée, essaye d’en discuter autour de toi. Il y a des communautés comme Craft Records, comme les Duchess, qui peuvent t’apporter un œil bienveillant. Et, dans tous les cas, ça va te faire du bien, ça va te challenger. Et en plus, tu ne sais pas si tu vas être pris. Donc, ça peut être que du positif. Lance-toi et tu verras. C’est comme en relation amoureuse : tant que tu ne t’es pas lancé, tu peux pas savoir. Et ça te fera que grandir. »

Quelques jours avant notre discussion (fin novembre 2020), je t’ai vu parler du CFP de Devoxx. Pour un speakeur débutant ou une speakeuse débutante, comment appréhender ce processus de CFP ? Y a-t-il des pièges à éviter, des choses à ne pas faire ? Ou, peut-être, tu aurais des conseils qui aideraient de nouvelles têtes à apparaitre ?

Une très bonne vidéo de Nicolas Martignol à ce sujet

Le call for papers, souvent, on se l’imagine comme super important, énorme, beaucoup de choses à remplir…
Mais non, un call for paper via une plateforme où tu viens rajouter ta proposition, c’est un titre, un abstract (un résumé de talk), une présentation de toi en quelques lignes (« je fais ça dans telle société » ça suffit) et un commentaire pour les orgas.
C’est tout ce qu’on demande en termes de contenu.

Ça peut être compliqué de passer le moment de la feuille blanche, mais un comité de sélection, c’est une plateforme où on dépose ces éléments-là et ensuite des personnes (il y a 22 personnes chez Devoxx cette année, oui c’est énorme) vont venir les parcourir.
Le comité peut te poser des questions, essayer d’avoir un peu ton retour, voir s’il y a des améliorations qu’on pourrait faire dans ton abstract (ça arrive, des fois, qu’on demande, parce que le sujet nous plait), ou, par exemple si le sujet proposé en 50 minutes pourrait être basculé en 15 minutes.
En tout cas, c’est une discussion, pour savoir si ce que tu proposes sera intéressant pour les participants à la conférence.
Ce n’est pas un moment de jugement, de notation de ce que tu as produit.

Et si le comité t’a fait confiance et valide ton sujet, ça a été leur réflexion, leur choix, et ils sont donc heureux de t’accueillir et il ne faut donc pas surstresser en se disant « mais pourquoi j’y vais, pourquoi j’ai été pris ? ».

Donc, rapidement : c’est un endroit où on va venir sélectionner, mais pas forcément noter.
On est là, avec beaucoup de bienveillance, pour choisir ce qu’on aimerait voir dans la conférence.

Autre chose d’important, pour les personnes du comité de sélection : quand on n’est pas à même de juger un sujet qu’on ne connait pas, bien sûr, on s’abstient. On ne note pas à la tête. Et on ne met pas des notes sans avoir pris connaissance du sujet.

Je crois que j’ai vu un tweet où tu disais qu’il y avait 900 sujets proposés pour Devoxx. Combien sont retenus ?

Je crois qu’il y a 90 à 100 speakeurs retenus. Donc en gros une chance sur dix.

Si on est rejeté, c’est souvent parce qu’il n’y a pas la place pour tout le monde. On reçoit énormément de propositions de conférences de 50 minutes, beaucoup de quicky.

Mais les formats un peu particuliers comme les universités de trois heures, les ateliers, on reçoit un peu moins de propositions.
Pareil pour les tools in action, un format un peu propre à Devoxx qui permet en 1/2h d’appréhender un outil, ou même les BOF (bird of feathers), des discussions le soir autour d’un sujet assez ouvert (il y a deux-trois ans, on avait d’ailleurs parlé de ce sujet de « comment devenir speakeur »).

Donc, pour augmenter les chances d’être pris, cibler un autre format que celui des conférences peut être un bon moyen.

900 propositions. Quand vous faites votre sélection, vous la faites en anonyme ? Vous privilégiez les speakeurs connus ? Les nouveaux speakeurs ? Vous essayez d’équilibrer ?

C’est une très très bonne question !

Je sais que certaines conférences utilisent Conference Hall qui a un mode qui permet de ne pas voir les personnes qui ont proposé et de ne voir que les sujets.
C’est super, ça permet de faire un choix vraiment sur le sujet.

Il faut quand même, après ce premier choix, prendre en compte la personne et la manière dont elle peut parler, faire son discours.
C’est toujours intéressant, aussi, d’avoir ça, parce qu’une personne qui sait très bien parler, qui a un très bon discours, va forcément avoir plus d’impact qu’une personne qui sera peut-être un peu stressée ou qui n’a pas un discours très fluide.

Chez Devoxx, on a une plateforme qui n’a pas ce mode-là.
Mais on a d’abord la proposition, et ce n’est que si on scrolle qu’on voit la personne.
Donc on a implicitement la réflexion où l’on juge le contenu avant d’aller voir qui l’a posté.

Tu parlais d’un champ « plus d’infos sur vous ». Quand tu es plutôt débutant ou débutante, tu as tout intérêt à l’utiliser pour montrer que tu sais de quoi tu parles, puisque tu n’as pas déjà de conférence sur Youtube ?

Exactement.

Puisque tu n’as pas beaucoup d’informations (comme des vidéos, des feedbacks) à partager, c’est intéressant de mettre les slides si tu les as déjà, de dire que tu es jeune speakeur, d’expliquer tes motivations (ça peut être intéressant pour les orgas de voir que quelqu’un a un sujet très important pour lui, qu’il a réalisé avec tout son cœur), que tu as peut-être donné des meetups ou fait des présentations dans ta société.

Donc, à mon sens, c’est toujours une très bonne idée d’expliquer sa démarche dans ce champ de commentaire là, ça permet de donner un peu plus de relief à une proposition.

Et est-ce qu’il y a des choses qu’il ne faut absolument pas faire, quand on répond à un CFP ?

(rires) Y’en a, y’en a plein !

À mon sens, pour un speakeur qui n’a jamais donné de conf, partir sur un talk de 50 minutes, voire une université de trois heures, c’est pas la bonne idée, parce qu’il faut savoir gérer une salle.

Je proposerais plutôt un quicky pour démarrer, sauf si la personne a vraiment une aisance et n’a pas peur du format 50 minutes.
20 ou 30 minutes, je trouve que c’est un bon test.

Et je pense que les organisateurs, implicitement, sont plus rassurés de prendre un risque de 20 minutes que de 50 minutes.

Oh, intéressant ! Je dis souvent aux débutants que le format 40-50 minutes est plus simple que le format 20 minutes…

Je suis aussi d’accord avec toi qu’il est très compliqué de résumer un sujet en très peu de temps et que ça demande aussi beaucoup de capacité.

Il faut savoir ton sujet, c’est lui qui détermine la bonne durée.
Si tu as un sujet comme une présentation rapide d’un framework, d’une idée, peut-être que 15 minutes ça va.
Si, par contre, tu es obligé de rentrer dans le détail, de faire du code ou autre, c’est vrai qu’en 15-20 minutes, ça peut être compliqué.

Tu parles de faire du code ? Limite, tu n’interdirais pas à un speakeur débutant de faire du Live Coding ?

Moi, non.

C’est vrai que c’est très stressant.
Et que c’est particulièrement compliqué pour les setups, de switcher, de savoir si ça va marcher au moment où tu lances ton truc, les bugs imprévus…

Mais, sur certains talks, je trouve que c’est obligé, en fait, de coder.
Certains sujets te font obligatoirement arriver sur du code et ça m’embêterait que la personne ne veuille pas le faire parce qu’elle se dit trop jeune et parce qu’elle a peur de comment ça va se passer en vrai.

Mais je peux comprendre que ça puisse être très très compliqué pour elle.

Si je reviens sur les « don’t » et les « do » du CFP…
À mon sens les « do », c’est :

  • Titre clair
  • Abstract clair, qui expose une problématique et qui y répond rapidement. C’est très important !

Les abstracts d’une ligne, c’est très compliqué à juger !
Et en plus, il faut imaginer que c’est ce texte que verront les participants. Donc, tu te mets un bâton dans les roues parce que les participants ne pourront pas juger si ce talk va leur plaire ou pas.
C’est pour ça que j’insiste sur le fait de bien proposer ta problématique et de montrer quelques éléments qui vont te permettre d’y répondre.

À l’inverse, les abstracts très longs, ça montre que la personne ne sait peut-être pas trop bien comment exprimer son sujet…

Je t’ai vu, sur Twitter aussi je crois, conseiller de ne pas envoyer les propositions le dernier jour du CFP… Vous n’attendez pas la fin du CFP pour commencer à juger ?

En effet.
Pareil pour Sunny Tech et d’autres conférences françaises.

Le CFP, souvent, est ouvert sur une période assez large (deux mois pour Devoxx).
On aime beaucoup, en tant qu’organisateurs, accompagner les propositions, essayer de les pousser, de les améliorer. Et ça demande une discussion.
Si tu as été le dernier à poser ta proposition, on aura moins de temps pour avoir cette discussion et ça peut avoir un impact.

Aussi, côté Devoxx, on ferme le CFP début janvier, puis on a une semaine pour finaliser les notations.
Et la semaine d’après, on se retrouve déjà pour commencer à faire le programme… Donc, si on n’a pas commencé à noter, ça nous fait voir 900 talks en une semaine et demie, pas possible.

Si vous êtes junior, si vous voulez vous lancer, essayez toujours de ne pas proposer votre talk dans les deniers, pour qu’on puisse, peut-être, discuter avec vous.

Et une fois une proposition acceptée… D’après ton XP d’orga, qu’est-ce qui peut aider quelqu’un à donner une conf agréable et compréhensible et intéressant ? Genre, LE conseil que tu donnerais à quelqu’un qui va préparer son talk ?

Qu’il ait du plaisir à le donner.
C’est la première chose qui me vient à l’esprit.
Et qu’il soit fier de ce qu’il a fait. Et qu’il ait pu le répéter.

À mon sens, « répéter, répéter, répéter, répéter » (NdA: oui, Estelle l’a bien dit quatre fois d’affilée) c’est LE conseil ultime pour se lancer en conférence.
Ça permet de diminuer son stress, de s’assurer de sa démo, de ses diapos, de son contenu.

Et pour le Jour J, le passage sur scène ? As-tu des recommandations particulières ?

Le conseil que je donne pour le Jour J, c’est d’apprendre la première phrase ou les deux premières phrases, le début du talk.
Parce que c’est le moment où tu as le plus de stress.

Et c’est souvent là où on va avoir du mal à parler, où on va chercher ses mots, où on va avoir peur face à tous ces visages.
Alors que quand on a appris ces premiers mots par cœur, ça nous permet de sortir ces phrases, d’être présent sur la scène, d’être tranquille parce qu’on n’a pas fait de bourde, et le stress et le trac diminuent tranquillement.

Dans mes talks, j’aime commencer par une histoire pour poser la problématique.
C’est un côté fun, rigolo, qu’on peut tourner sur différents axes. Et qui, en même temps, permet d’amener l’ensemble des participants avec soi.

Est-ce que, au moment d’élaborer le programme de la journée / des journées, vous tentez quelques aménagements spécifiques pour des speakeurs, notamment dont c’est la première ?

Je sais qu’on peut en demander, certains speakeurs le font.
Par exemple « je préfère passer le mercredi plutôt que le vendredi parce que j’ai mon train » ou le matin plutôt que le soir.
Il n’y a que ça que je vois.

Après, quand on réalise le programme, on essaye d’imaginer les personnas (ex : le personna plus ops, le personna plus produit, le personna plus dev front…) de gens qui vont venir voir les confs et on essaye de s’assurer qu’à chaque endroit du programme, chaque personna peut trouver un sujet intéressant.

Une dernière chose que tu aimerais dire, en tant qu’orga, à un nouveau ou une nouvelle speakeur pour qui l’évènement que tu organises est le premier ?

Le speakeur a été choisi pour une raison lors du CFP.
Il n’a pas besoin de se poser plus de questions : c’était le choix de la conférence de l’amener et il ne faut pas qu’il se dise « je n’ai pas ma place ».
Il faut qu’il fasse confiance aux orgas et aux membres.

Et s’il a la moindre question, un problème logistique, un problème sur son talk, des éléments particuliers à prendre en compte sur ce qu’il mange ou sa mobilité, sur des problématiques dont il a peur ou a besoin de discuter : on est là pour ces personnes !
C’est grâce aux speakeurs qu’on fait une bonne conférence, c’est grâce à eux qu’on permet aussi d’avoir 3-4 jours d’échanges incroyables, donc la moindre question, il ne faut pas hésiter à contacter les orgas.

Tu as déjà mentoré un ou une speakeur junior. Pourquoi ? Que penses-tu avoir apporté à cette personne ? A-t-elle eu le sentiment que ton accompagnement l’ait aidé ? Et toi, qu’en as-tu tiré, pourquoi fais-tu cela ?

J’avais mentoré, dans ma société, des gens qui voulaient se lancer et qui ne savaient pas.
Je mentore aussi Lise, une speakeuse qui a fait maintenant pas mal de conférences, donc je suis très heureuse.

J’essaye de leur apporter plus de l’assurance, leur expliquer les questions qu’ils vont se poser, leur expliquer le Jour J, dédramatiser les CFPs, dédramatiser les conférences.

Et j’en retire beaucoup de pédagogie : le fait d’expliquer, de prendre le temps d’être pédagogue, de prendre le temps de bien comprendre aussi leurs émotions…
J’essaye d’être très empathique parce qu’un speakeur ne va pas avoir les mêmes réactions et le même stress qu’un autre speakeur. C’est très challengeant pour soi, ça nous apporte beaucoup, je trouve.
Et c’est un plaisir de les voir donner leur premier talk et prendre du plaisir et de me dire « challenge accepted ».

Merci Estelle pour le temps que tu as passé avec moi et pour toutes ces idées !